Chapitre III
Merchak sortit de la hutte qu’il avait minutieusement fouillée sans découvrir le moindre indice utile. La mine mauvaise, il apostropha le prêtre qui avait été contraint de le suivre pour servir de guide.
— Savez-vous si cette fille avait un autre endroit où se terrer ?
— C’est toujours ici que les villageois venaient lui rendre visite en dépit de mes mises en garde. C’est une sorcière qui leur donnait des drogues. J’avais pourtant interdit ces pratiques.
— Quel genre de drogues ?
— Elle prétendait qu’elle pouvait guérir certaines maladies envoyées par l’Être Suprême pour punir les péchés.
— Et elle vous privait d’un substantiel revenu, ricana Merchak. Je comprends mieux votre vindicte : Retournons au village pour nous organiser.
Le prêtre se garda de contredire un interlocuteur qu’il sentait d’humeur exécrable. Un Godomme demanda alors :
— Faut-il brûler cette masure ?
— N’en faites rien, supplia le prêtre. Si elle voit sa cabane détruite, la fille disparaîtra définitivement. Avec un peu de chance, elle reviendra un jour et je serai là pour la cueillir. Cette fois, elle n’aura pas un sauveur miraculeux.
— Très bien, j’aime les gens rancuniers, railla Merchak en faisant signe au Godomme d’éteindre la torche qu’il brandissait.
Une heure plus tard, Merchak réunit ses cinq officiers dans le bureau du prêtre qu’il avait réquisitionné en expulsant sans ménagement son propriétaire avec ordre de préparer un dîner.
— Notre gibier n’est pas repassé par le village. Donc, il a franchi la colline pour redescendre de l’autre côté. C’est là-bas qu’il faudra chercher sa trace. Dès l’aube, envoyez des éclaireurs dans ces directions. La forteresse du cristal ne peut être loin. Je le sens, j’en ai la certitude. Si nous réussissons, vous serez les premiers à bénéficier d’un cristal qui vous donnera une force égale à celle des chevaliers du royaume de Fréquor.
La perspective réjouit les Godommes qui sortirent au pas de course.
Le Grand Maître avait les yeux rivés sur un énorme cristal, de la taille d’un melon, aux multiples facettes irisées. Il releva la tête en entendant Paul entrer.
— Je sais qu’il vous est arrivé de nombreuses aventures depuis que vous nous avez quitté.
— Il est exact que je n’ai pas vécu beaucoup de moments agréables.
— J’ai suivi ce qu’il faut bien appeler vos exploits grâce à la puissance du cristal. Plusieurs fois, j’ai tremblé pour vous.
Un sourire parut sur les lèvres de Paul quand il murmura :
— Je sais que vous m’avez aidé à plusieurs reprises en m’insufflant force et courage.
— Je n’ai fait que stimuler ce qui était en vous. Votre cristal est fort bien accordé à votre esprit et je peux percevoir vos pensées très loin. Votre ami Yvain est aussi un sujet remarquable.
— Avez-vous de ses nouvelles ?
— Il poursuit son voyage vers les cités-états de l’Est.
— Vous connaissez le but de ma visite.
— Naturellement ! J’ai déjà demandé à nos frères de préparer des cristaux en nombre suffisant pour permettre à Karlus de reconstituer un corps de chevaliers.
— Quand pourrai-je repartir ?
Le Grand Maître secoua la tête et soupira :
— Je ne le sais pas encore. J’ai un très mauvais pressentiment. Une onde maléfique rôde mais je n’arrive pas encore à préciser la menace. En attendant, allez vous reposer.
À l’instant où Paul se levait, il ajouta :
— Cette jeune fille est charmante. Vous avez sainement agi en la sauvant du bûcher. Votre défi était téméraire mais je sentais que vous pouviez vaincre cette brute.
Paul hésita un long moment puis comme un nageur qui plonge d’un seul coup dans l’eau froide, il lança très vite :
— Je me demande si elle n’est pas une sorcière.
Armadérien haussa un sourcil et répondit avec une trace d’ironie dans la voix :
— Une sorcière, voilà qui est intéressant. Vous ne croyez pas aux affirmations d’un prêtre cupide ?
— Le doute me ronge. Je pense bien avoir vu son corps se transformer, s’étirer en un long nuage de fumée. Ne l’avez-vous pas suivi dans mon esprit ?
Le Grand Maître tendit l’index qu’il agita comme un professeur qui tance un élève :
— En dépit de tout l’intérêt que je vous porte, je ne vous suis pas minute par minute. J’ai beaucoup d’autres tâches. J’ai seulement perçu qu’elle vous avait procuré une très grande émotion.
Les joues de Paul virèrent au vermillon.
— Je dois avouer, Vénéré Maître, que…
— Taisez-vous ! Vous êtes jeune, plein de vie et vous n’avez prononcé aucun vœu. Votre conduite est donc fort naturelle.
La tête baissée, Paul reprit :
— Devant la dépouille de frère Grégoire, j’avais juré d’être un templier du cristal.
— Vous avez tenu votre promesse. Cessez donc de vous tourmenter. Cette jeune fille semble particulièrement intéressante.
Non encore convaincu, Paul marmonna :
— Ne croyez-vous pas qu’elle est une sorcière ?
— Nous verrons ce problème plus tard. Je vais y réfléchir. En attendant, allez vous reposer. Nous avons prévu une chambre pour vous lorsque que j’ai deviné votre arrivée.